II. Des causes mutliples à un développement inégal en matière de nucléaire
Après la constatation d'énormes différences sur le point préoccupant du nucléaire aujourd'hui entre l'Allemagne et la France, l'on peut se demander pourquoi une telle différence existe entre deux pays de l'Union Européenne. Nous allons dans un premier temps étudier l'histoire de chacun d'eux, étroitement liée à sa culture puis nous pencher sur les ressources uranifères de chaque pays pour enfin nous intéresser à la façon dont une telle distinction a pu s'opérer malgré une politique énergétique commune.
1) Un contexte historique et culturel différent
a) La France, pays en constante recherche en matière d'énergie atomique
C’est en 1896 qu’Henri Becquerel, physicien français, découvre la radioactivité naturelle. Deux ans plus tard, Pierre et Marie Curie découvrent le polonium et, en 1919, Ernest Rutherford parvient à réaliser une désintégration nucléaire artificielle. En 1939, Otto Hahn, Lise Meitner, Fritz Strassmann et Otto Frisch mettent à jour la fission de l’uranium sous l’effet d’un bombardement de neutrons : le noyau atomique de l’uranium est divisé en deux noyaux de plus faible taille. Cette réaction permet de produire une énergie très importante. Au cours de la même année, Frédéric Joliot-Curie mettra en évidence la réaction en chaîne. La guerre s’annonçant, la maîtrise de l’énergie nucléaire devient très importante et Einstein écrit au président Roosevelt pour le prévenir du danger que peut être cette énergie, aux mains des Allemands.
A la fin de la seconde guerre mondiale, après les explosions des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, le monde devient bipolaire. La peur du lendemain, celle d’un affrontement entre Est et Ouest ainsi que la reconstruction du pays sont autant de raisons données à la France pour se procurer l’énergie nucléaire et ainsi en user non seulement à des fins militaires mais aussi afin de produire de l’électricité. Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) commence alors à exploiter les gisements radioactifs, décelés par des prospecteurs en France métropolitaine et en Outre-mer. Le première pile atomique française (Zoé) est alimentée par une mine de radium du Katanga (République Démocratique du Congo), et débute son activité en 1948, près de Paris. En novembre 1948, on découvre de la pechblende en Haute-Vienne (la pechblende est un oxyde d'uranium, dont on exploite les gisements pour extraire l'uranium), découverte entraînant aussitôt les travaux dans miniers.
La première centrale exploitée par EDF commence sa production à Chinon en 1963 tandis que la première centrale française produisait déjà de l’énergie sur le site de Bugey en 1956 mais sous le contrôle de la CEA. En 1968, la France est devenue cinquième puissance nucléaire mondiale et en 1974, le Premier ministre Pierre Messmer annonce le lancement d'un vaste programme nucléaire afin de limiter la consommation de pétrole. Le premier choc pétrolier de 1973 conduit même la France a développer un parc nucléaire impressionnant : entre 1974 et 1975, 13 nouvelles centrales nucléaires sont exploitées par EDF. Aujourd'hui, l'énergie nucléaire couvre 78% des besoins en énergie français.
b) L'écologie profondément ancrée dans la culture allemande
Entre 1933 et 1945, le régime nazi sévit en Allemagne. Dans Le nouvel ordre écologique, paru en 1992, Luc Ferry nous fait part de l’idéologie écologique nazie en présentant les lois de novembre 1933, juillet 1934 et juin 1935 comme les premières lois permettant d’associer un projet écologique important à une politique véritable. Se référant aux théories du biologiste et théoricien nazi de l’environnement Walther Schoenichen, Luc Ferry considère le sentimentalisme romantique comme thème central repris par les Nazis, ainsi que le besoin de protéger la nature vierge. Durant ces douze années, malgré l’horreur de cette période, le peuple allemand ancre en lui une conscience écologique forte. Durant la guerre, les pays ennemis de l’Allemagne considèrent le fait qu’elle possède l’énergie nucléaire comme un énorme danger et font particulièrement attention à ce qu’elle ne puisse en bénéficier.
Après la guerre, l’Allemagne est occupée et détruite, les usines sont démontées et elle doit entreprendre sa reconstruction économique. En 1949 elle est divisée en deux et en 1957 l’Allemagne de l’Ouest (RFA) est un des six pays fondateurs de la Communauté Economique Européenne. La RFA se redresse rapidement grâce au plan Marshall lancé par les Etats-Unis et au niveau élevé de la recherche héritée de l’Allemagne d’avant 1945. Entre les années 70 et 80, cette partie de l’Allemagne est marquée par l'apparition des mouvements d’extrême gauche, dont les opposants au nucléaire. En 1980, une partie de cette extrême gauche décide de fonder le parti des Verts (die Grünen), qui gouverne l’Allemagne de 1998 à 2005. C’est durant cette période qu’est votée l’accord qui décide l’abandon de l’énergie nucléaire en allemagne. Cependant, « enrichie » par son histoire, l’Allemagne garde, ancré dans sa culture, le souci par rapport aux questions d’environnement qui dépasse les limites du parti des Verts.
L’Allemagne compte environ cent dix réacteurs nucléaires (à ne pas confondre avec le nombre de centrales nucléaires) mis en service entre 1957 et 2004, le premier étant un réacteur de recherche civil et non un réacteur de production d’électricité. Entrée en vigueur au premier janvier 1960, la loi de l’Atome (Atomgesetz) consent à une utilisation pacifique de l’énergie atomique et permet une protection contre les risques de la radioactivité, subissant depuis plusieurs modifications. En septembre 2006, dix-sept centrales sont encore en fonctionnement en Allemagne, et dix-huit sont arrêtés. En effet, depuis l’accord signé entre le gouvernement allemand et les producteurs d’énergie, la sortie du nucléaire civil est amorcée.
2) Des ressources en matière première différentes
a) En France, des ressources importantes épuisées ou abandonnées
Les gisements d’uranium en France sont principalement constitués de minerais à teneur faible en uranium, la plupart du temps entre 1 et 4 kg par tonne de terre. L’essentiel de ces ressources se trouve associée à des granites : en Vendée, dans le Forez ou dans le Limousin. Les minerais primaires (c'est-à-dire le minerai noir) sont principalement composés de pechblende, d’uraninite et des coffinite. Les minéraux secondaires sont issus de la dégradation des minerais primaires et se rencontrent dans la partie se trouvant en surface des gisements mais sont rarement exploitables à eux seuls. L’uranium peut aussi se présenter sous forme de gisements de source sédimentaire ou sous forme minéralogique (pechblende, coffinite) ou encore lié à la matière organique.
En 1965, les grandes divisions minières en place, les ressources totales sont de 38 600 tonnes d’Uranium.
Les rebondissements politiques et économiques influencent l’évolution du développement des productions. Dans les années 60, les mines uranifères connaissent un premier recul après une période d’excès de production (engendrant une baisse des prix) et du retard des programmes d’établissement des centrales nucléaires. En 1973, le premier choc pétrolier remet en route la recherche d’uranium ainsi que la production et les prix augmentent à nouveau, l’exploitation des minerais plafonne. Grâce à la prospection, on découvre de nouveaux gisements qui sont alors exploités. On en découvre plus d’une dizaine entre 1974 et 1981 alors que d’autres s’épuisent.
Durant presque cinquante ans, les gisements d’uranium français ont permis d’obtenir 52,5 millions de tonnes de minerais et 74 600 tonnes d’uranium, ce qui représente 3,9% la production mondiale (estimée à 1,92 millions de tonnes).
Le 29 mars 1979, l’accident de la centrale de Three Mile Island (Etats-Unis) ralentit les plans de construction des centrales nucléaires. Alors que l’offre augmente, la demande chute et, avec elle, les prix. Les progrès techniques (traitement des minerais, méthodes d’exploitation et restructuration) contribuent à ce que la France « tienne le coup » jusqu’en 1988, où l’arrêt des exploitations importantes est décidé. Cette année fut une année record pour la France, qui produit alors 5,6% (soit 3 420 tonnes) de la production mondiale étant de 61 000 tonnes, puis les fermetures des centres miniers se succèdent entre 1988 et 1997 et l’approvisionnement français en uranium est alors garanti par les gisements d’Australie, du Gabon ou encore du Canada. La dernière mine d’uranium ferme ses portes en 2001, maintenue en raison de sa bonne teneur en uranium.
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b) En Allemagne, une situation quasiment identique
L'Allemagne, comme la France, fait partie des onze pays ayant déjà épuisé leurs ressources en uranium, les utilisant durant ces dernières décennies à un rythme très élevé. En 1995, elle se tient au troisième rang mondial de production d'uranium après les Etats-Unis et le Canada (la France se tient alors à la treizième place). Cependant, après cette période de production intense, l'Allemagne se retrouve alors sans ressources uranifères tandis que les deux leaders se retrouvent accompagnés de nouveaux pays producteurs qui ne font que commencer à cette époque là et qui ont encore d'énormes ressources à exploiter.
3) Des politiques différentes au sein même de l'Union Européenne
a) La politique de l'Union Européenne
En Europe, l’énergie nucléaire n’a pas été aussi étendue que le prévoyait la Communauté européenne de l’énergie atomique en signant le traité de Rome du 25 mars 1957. En effet, le traité Euratom laisse chaque Etat membre de la Communauté libre de développer ou non l’énergie nucléaire sur son sol. Ainsi il faut garder en tête que la condition de chaque pays de l’Union Européenne en matière de nucléaire est différente.
L’Union possède le premier parc de centrales nucléaires du monde, représentant 40 % de la capacité électronucléaire mondial, et produisant 35 % de la production d’électricité de l’Union.
Cependant, seulement 12 membres sur 25 possèdent des centrales nucléaires, tels la Belgique, la Finlande, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Lituanie. On peut expliquer cela par la méfiance que manifeste l’opinion publique européenne envers le nucléaire, notamment à cause des radiations infimes rejetées dans l’environnement, du traumatisme causé par l’explosion du réacteur de Tchernobyl, qui montre que les accidents nucléaires ne sont pas seulement des statistiques, mais aussi des faits réels et dont on constate encore les effets dévastateurs de nos jours, et des inévitables déchets radioactifs hautement nocifs résultant de la production d’électricité nucléaire. Tous ces problèmes explique la crainte qu’engendrent les centrales nucléaires chez certains de nos voisins.
Ces distinctions entraînent des tensions politiques au sein de l’Union, cependant aucun consensus n’a été décidé, malgré l’incohérence qu’ont certains Etats membres dans leur comportement en s’opposant à voir des centrales nucléaires sur leur territoire mais en ne rechignant pas à importer de l’électricité de source nucléaire.
L’entrée dans l’Union en 2004 de la Hongrie, la Lituanie, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque a lancé le problème des réacteurs nucléaires soviétiques et de leur adaptabilité aux normes européennes.
Mais certains pays réétudient leur décision de retarder l’avancée du nucléaire ou de repousser les démarches visant à sortir du nucléaire.
Les missions spécifiques du traité Euratom sont de développer la recherche et la diffusion des avancées techniques, de garantir l'application des normes de sécurité sanitaire de la population et des travailleurs, ainsi chaque Etat établit des lois et des réglementation en accord avec le traité et se doit de tenir informer la Commission de ses projets et expériences en matière de radioactivité, de favoriser l'investissement au développement de l'énergie nucléaire dans l'Union en publiant des objectifs de production, de maintenir l'approvisionnement régulier et équitable en minerais et combustibles nucléaire pour chaque Etats d'assurer que les matières nucléaires ne sont pas détournées à des fins militaires en agençant un système strict dont le but est de contrôler l'usage que fait chaque Etat de ces matières, de favoriser le progrès du nucléaire pacifique en collaborant avec les organisations internationales, et de créer des entreprises communes.
b) La politique française visant à développer la recherche
La loi du 29 juin 2006 assure le respect du code de l’environnement en précisant et concrétisant les articles concernant le nucléaire et, plus précisément, les déchets radioactifs. Elle nous informe des mesures strictes employées dans le traitement des matières et déchets radioactifs, des taxes, sanctions et autres définitions précises des termes employés.
Elle nous renvoie également à la loi du 13 juillet 2005, loi qui traite la stratégie énergétique nationale. Cette politique repose sur un service public permettant l’indépendance de la nation et sa compétitivité dans le domaine économique et demande un développement de firmes publiques dans le secteur de l’énergie. Elle a pour objectif d’assurer un approvisionnement stable et un prix compétitif, de protéger la santé de l’Homme et de la nature en combattant l’accroissement de l’effet de serre et de garantir à tous un accès à l’énergie. Pour atteindre ces objectifs, l’Etat reste vigilant en matière de maîtrise de la demande énergétique, de diversification de cet approvisionnement, de recherche dans le domaine de l’énergie, et d’assurance des moyens de transports et de stockage de l’énergie.
L’Etat nourrit la volonté de disposer en 2015 d’un réacteur nucléaire de nouvelle génération opérationnel, prototype potentiel des futurs réacteurs répartis sur l’ensemble du territoire et garantit que le développement moins marquant des énergies renouvelables électriques est dû à l’utilisation très faible des énergies fossiles en France, comparée à nos voisins.
Une autre priorité en matière de diversification énergétique électrique est d’assurer la sécurité de l’approvisionnement français en pétrole, gaz et charbon. La politique de recherche française doit permettre d’ici 2015, de conserver sa supériorité dans le domaine de la technologie nucléaire (L’Etat prévoit la construction d’un réacteur nucléaire démonstrateur de conception la plus récente) mais aussi d’accroître la compétitivité des énergies renouvelables, notamment de la biomasse, du photovoltaïque, de l’éolien en mer, du solaire thermique et de la géothermie.
La France vise ainsi à diminuer en moyenne de 3 % par an les émissions de gaz à effet de serre et à conserver l’avantage, en particulier grâce à l’énergie nucléaire, de disposer d’une énergie relativement peu onéreuse.
La politique énergétique française vise aussi à diversifier les sources d’énergies, et, en particulier, à satisfaire en 2010, 10 % grâces aux énergies renouvelables. Une grande partie de la production d’électricité reste néanmoins d’origine nucléaire, associée à une part croissante d’énergie d’origine renouvelable.
c) La politique allemande de sortie du nucléaire
En l’an 2000, le gouvernement allemand, alors constitué du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) et d’Alliance ‘90/les Verts' déclare sa volonté de cesser l’exploitation nucléaire, suite à la catastrophe de Tchernobyl. Le ministre de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire passe alors un accord avec les entreprises de production d’énergie, ayant ainsi pour but de fermer progressivement chacune des dix-neuf centrales nucléaires allemandes à l’horizon 2020, dès que chacune d’elle passera la durée de vie qui lui est accordée, c’est-à-dire trente-deux ans.
Les militants anti-nucléaires critiquent cependant l’accord, qui n’est à leurs yeux qu’une utilisation programmée des centrales, et non pas une véritable éradication de celles-ci. Ceux-ci considèrent en effet l’échéance de 2020 comme trop éloignée. De plus, le décret ne prend pas en compte l’utilisation de cette énergie ni l’enrichissement de l’uranium, ce qui est interprété comme un mensonge de la part des anti-nucléaires.
Le gouvernement décide alors de dédommager les entreprises productrices d’énergie mais aucune réponse n’a été apportée sur la question du traitement final des déchets radioactifs. L’éradication progressive des centrales nucléaire aboutit grâce à des concessions sur le plan de la protection lors du transport des déchets, nonobstant le refus du ministre cité précédemment sur ce point. Ce programme d’arrêt de l’énergie nucléaire est encore assailli par d’autres difficultés, comme le prix croissant des combustibles fossiles. Cependant, le programme concernant les énergies renouvelables engage une taxe de rétribution concernant celles-ci . Le gouvernement ayant comme but prépondérant la protection de l’environnement et l'augmentation du pourcentage des énergies renouvelables qui était fixé à 4,6% pour 2010 est déjà atteint, et le pays vise les 50% en 2050. Les opposants à ce projet d’abandon du nucléaire projettent une crise de l’énergie, ne voyant aucune source énergétique alternative. D’après eux, seul le charbon parviendrait à remédier à ce défaut d’énergie, rejetant ainsi de grandes quantités de dioxyde de carbone dans l’air, ou voient une alternative dans l’importation de centrales nucléaires françaises ou de centrales à gaz russes.
Depuis les nombreuses découvertes concernant l'énergie atomique, d'énormes progrès technologiques ont permis de hisser le nucléaire en pôle position de la production d'énergie en France tandis que dès le départ, l'Allemagne est en retard si l'on considère le développement de l'industrie nucléaire. Les deux pays ayant rapidement utilisé toutes leurs ressources durant les dernières décennies, l'on ne peut pas considérer cet élément comme majeur dans la recherche de réponses à la problématique. Cependant, le lien entre histoire, culture et politique étant étroit, l'impact des évènements majeurs influence, par le biais des citoyens qui élisent leurs représentants, les décisions politiques, plus particulièrement en ce qui concerne la politique énergétique.